Alfred Leclerc (1853-1914) et son épouse, Camille Guay (1852-1912), ont laissé peu de traces dans l’histoire officielle de Lévis, mais une pierre tombale au cimetière du Mont-Marie est discrètement chargée d’histoire.
Par Claude Genest - Collaboration spéciale
L’histoire est bien souvent axée sur les gens connus et les personnages publics qui ont, à la fois les moyens, et les institutions pour mettre en valeur leur vie et leurs parcours.
Or, cette chance n’est pas donnée à tous. Dans les faits, bien des vies humaines du passé contiennent un vécu tout aussi valable relégué aux oubliettes faute de documents d’archives. Dans un livre sur le domaine ancestral des Croteau d’Amérique, feu René Croteau, qui a longtemps habité Lévis, s’est buté lors de sa recherche aux nombreux vides que contient notre histoire, en donnant pour appuyer ses dires l’exemple de l’apport des femmes.
Voici ce que René Croteau a écrit avec beaucoup de lucidité à ce sujet en conclusion de son livre et qu’il vaut la peine de citer au complet.
«Au moment de clore le présent recueil, il m’apparaît important de rappeler que dans les ouvrages que j’ai parcourus ou consultés, le rôle des femmes est toujours évoqué, comme ça, en passant. Pourtant, elles ont abattu, à chaque époque, une besogne considérable. Dans plusieurs cas, on peut dire que ce sont elles qui étaient sur la ligne de feu malgré les rigueurs du climat et des conditions de vie. Les maternités nombreuses, les grossesses successives année après année, les décès d’enfants à la naissance ou presque et celui de la mère elle-même souventes fois rapportée, ne sont que des constatations du dessus du panier.»
C’est donc «comme cela en passant» dans le cimetière que j’avais remarqué il y a plusieurs années à l’arrière du monument funéraire de l’ancien président du Mouvement Desjardins, Alfred Rouleau, la tragique histoire du couple Leclerc-Guay.
Un drame gravé dans la pierre. Sous les noms du couple, on y voit les inscriptions suivantes : «Leurs enfants Alfred 10 ans, Adélard 9 ans, Delia 7 ans, Marie 6 ans, Marie-Camille 3 ans, Georges 11 mois décédés en avril 1887 de la diphtérie». Quelques mots qui nous laissent entrevoir un drame inouï auquel ce couple a dû faire face. Une séquence mortelle qui a fauché leurs six enfants en un mois, rien de moins. On reste évidemment sans mot devant un tel drame qui réapparaît discrètement, comme cela, au hasard d’une marche tranquille au cimetière.
Les grands vides de cette pierre tombale, c’est tout le reste de leur vie telle que leur rencontre, leur mariage, les naissances heureuses, leurs occupations, le mois inimaginable d’avril 1887, les deuils multiples et ses suites. Bref, cette pierre tombale nous cache tout en nous laissant entrevoir plein de choses sans doute consignées nulle part mis à part quelques registres ou tout simplement perdues dans les dédales de l’histoire.
Pour ma part, Alfred Leclerc et Camille Guay méritent pleinement de passer à l’histoire, afin que les six décès en un mois de leurs enfants, pour reprendre les mots de René Croteau, ne soient pas «que des constatations du dessus du panier».